Un salarié protégé peut-il négocier son départ ?

samedi 9 juin 2007

Un salarié protégé peut négocier son départ à partir du moment où l’inspecteur du travail a autorisé la rupture du contrat.

C’est un cas de figure qui se présente principalement dans le cadre d’un licenciement collectif pour motif économique : l’entreprise met en place des mesures d’accompagnement du licenciement favorisant le volontariat et la question se pose de savoir si l’employeur peut, sans danger, accepter qu’un salarié protégé y adhère.

Pourquoi les employeurs devaient-ils avoir peur ? Parce qu’ils savent que la procédure de rupture spécifique aux salariés investis d’un mandat est impérative. La Cour de cassation leur a fermé successivement toutes les voies par lesquelles ils espéraient pouvoir contourner la demande d’autorisation administrative, celle de la résiliation judiciaire en 1974 (Cass. ch. mixte, 21 juin 1974), celle de la rupture d’un commun accord assortie d’une transaction en 1996 (Cass. soc., 21 février 1996). Les employeurs ne peuvent éviter la procédure spécifique, les salariés ne peuvent s’en affranchir car cette protection n’a pas pour but de protéger leur personne mais leur mandat.

A une époque où l’on ne parle plus que de gestion prévisionnelle des emplois et de réduction des effectifs sans licenciement, la protection des représentants du personnel engendre un « effet boomerang » inattendu. Les salariés qui pressentent une compression d’effectifs à plus ou moins long terme dans leur entreprise hésitent à se porter candidats aux élections professionnelles, de peur de devoir renoncer aux avantages du plan social. Les employeurs, de leur côté, les écartent de certains dispositifs.

Sans transiger avec ses principes, la Cour de cassation vient de rendre un arrêt qui devrait dissiper les craintes. Voici les faits : le Crédit Foncier de France a négocié puis mis en place, après consultation du CE, « un plan d’adaptation des emplois », soit une forme de gestion prévisionnelle des emplois, prévoyant diverses actions dont un dispositif de préretraite financé par l’entreprise. Une déléguée syndicale souhaite en bénéficier. Comme cette préretraite s’accompagne d’une rupture amiable du contrat de travail, l’employeur demande à l’inspecteur du travail le droit de « licencier » l’intéressée. La demande est acceptée et l’employeur présente à la requérante un protocole de préretraite qu’elle signe.

Une fois son compte soldé, la salariée saisit le tribunal, criant à la violation de son statut protecteur et réclame un rappel de salaire couvrant la période entre son « éviction » et l’expiration de sa période de protection, sans oublier une indemnité pour licenciement illicite.

Contournement de la procédure

En réalité, elle essaie de jouer sur les mots : l’inspecteur du travail a autorisé son « licenciement », or son contrat a été rompu par accord réciproque. Ce mode de rupture étant, selon son analyse, prohibé, il est donc tout à fait légitime que cette rupture soit annulée avec toutes les conséquences financières qui s’ensuivent. La cour d’appel ne se laisse convaincre qu’à moitié : elle n’annule pas la rupture mais juge que l’employeur aurait dû procéder au licenciement avant de faire signer le protocole. Elle ne condamne donc le Crédit Foncier qu’à une indemnité d’un mois de salaire pour procédure irrégulière.

Le Crédit Foncier en serait sûrement resté là si l’ex-déléguée syndicale ne s’était pourvue en cassation. Tant qu’il y est, il va demander à la Cour, non seulement de prendre position sur la licéité de la rupture mais aussi sur la procédure qu’il a suivie.

La haute juridiction lui décerne un 20/20. Saisi par une salariée protégée d’une demande d’adhésion au dispositif de préretraite, il a bien fait de demander l’autorisation à l’inspecteur du travail. L’objectif des tribunaux, à travers la jurisprudence rappelée en début d’article, était de couper court à toute recherche de contournement de la procédure propre aux représentants du personnel. Le Crédit Foncier n’est pas tombé dans ce travers, il a saisi l’inspecteur du travail qui a pu procéder à toutes les investigations qui lui incombent.

Fallait-il ensuite s’en tenir à la lettre de l’autorisation délivrée et procéder à un licenciement en bonne et due forme alors même que le plan d’adaptation des emplois prévoyait une rupture d’un commun accord ? Non, répond la Cour : dès lors qu’on se trouvait dans le contexte d’un accord collectif sur lequel le CE avait été consulté, l’autorisation accordée par l’inspecteur du travail valait pour le mode de rupture institué par cet accord (Cass. soc., 27 mars 2007).

lesechos.fr du 22/05/2007