Débat industrie microélectronique
(IEP, Grenoble, 18/04/2013)

lundi 29 avril 2013, par CGT.ST-STE

Intervention de Mariano BONA à l’IEP lors d’un débat sur l’industrie microélectronique.

Introduction au débat

La question posée : Le secteur des semi-conducteurs est-il en crise ? Enjeux et conséquences pour le bassin grenoblois est très difficile.

L’industrie du semi-conducteur est cyclique et connaît des crises intrinsèques de surcapacité, qui se résolvent par des changements de technologie, l’obsolescence d’une partie importante des capacités de production, et des concentrations d’entreprises. Les crises d’ordre macro-économique sont plus ou moins compensées par la pervasion, c’est à dire l’importance croissante de l’électronique dans notre vie quotidienne. Ainsi, outre les évidents téléphone portable ou tablettes, il y a jusqu’à 25% de la valeur d’une voiture qui provient de l’électronique embarquée. Mais il est difficile de prédire comment va se comporter l’industrie des semi-conducteurs face à la crise globale qui affecte depuis 2008 l’économie planétaire, et qui provoque des événements d’une force inconnue jusqu’à présent. Qui peut prévoir les conséquences sur l’économie mondiale de l’explosion d’une bulle de crédit en Chine par exemple ?

Le marché des semi-conducteurs a connu une réduction de la demande en 2011 et 2012, mais il semble que 2013 soit une année de reprise. 2012 n’a pas été marquée par un tassement extraordinaire. Le WSTS (World Semiconductor Trade Statistics), qui représente plus de 70% de l’industrie du semi-conducteur, indique que le marché mondial des semiconducteurs a reculé en 2012 de 3%, et prévoit néanmoins une croissance de 4,5% pour 2013.

Par contre, le WSTS a pointé du doigt que sur la période 2011/2015, l’Europe serait la seule région du monde à afficher une croissance annuelle moyenne négative (-0,6%).
Les chiffres parlent d’eux-même. Pour revenir à l’avis de WSTS, nous vous invitons à considérer deux chiffres : l’Union Européenne réalise 25% de l’effort R&D en semi-conducteurs et seulement 2% des investissements industriels dans ce secteur. C’est toute une vision catastrophique de la politique industrielle qui se dessine là : une politique d’innovation sans production industrielle.

Ce constat rejoint nos propres préoccupations. S’il est compliqué de statuer sur la crise des semi-conducteurs, nous considérons effectivement qu’il y a un danger pour l’industrie européenne des semi-conducteurs. Ne pas réagir aujourd’hui à la hauteur des problèmes risque de nous confronter à un destin similaire à la sidérurgie, où malgré les savoir-faire, les capacités de production, le caractère stratégique de cette industrie, le secteur a été démantelé pour des raisons de rentabilité financière. Nous faisons face au même risque aujourd’hui pour l’industrie des semi-conducteurs, malgré l’existence en France et en Europe d’un savoir-faire de niveau mondial.

Les demandes des marchés financiers ont pris une importance démesurée, qui ont pris le dessus sur la logique industrielle. Ces demandes sont présentes tant au niveau des entreprises que des pouvoirs publics.

En France, depuis plus de 10 ans les profits servis aux actionnaires sont supérieurs aux investissements industriels. Dans un avis rendu en 2011, le conseil économique, social et environnemental (CESE) attire l’attention sur l’importance des dividendes en France, qui freine les possibilités pour les entreprises de réaliser des investissements productifs (cf document en annexe).
Servir de tels dividendes entraîne une forte pression exercée sur les investissements, salaires, l’emploi, les conditions de travail et les droits syndicaux.

Je ne vous apprends rien en vous disant que l’industrie des semi-conducteurs est très importante pour l’agglomération grenobloise, pas seulement en raison des milliers d’emplois directs et induits, ce qui serait déjà un motif de se mobiliser, mais aussi en termes d’impact sur la formation, la recherche, pour l’emploi des jeunes, pour le financement du développement économique et social. Car sans création de richesses, pas de possibilité de financer les services publics. La France est rempli plus qu’il n’en faut de territoires où le déclin industriel s’est accompagné d’une désertification sociale. C’est donc un combat important pour maintenant et pour demain.

Nous ne plaidons pas pour faire de l’emploi pour de l’emploi. L’industrie des semi-conducteurs est une industrie utile. Elle est indispensable pour tous les autres secteurs de l’industrie, permettant des gains d’efficacité incomparables. Elle est présente massivement dans les machines outils, les transports, etc … Elle est à la base du développement de l’instrumentation médicale. C’est elle qui a permis le développement considérable des communications, que ce soit via la téléphonie ou internet.

Bien sûr, ce développement industriel soulève des questions et comporte des contradictions. Mais c’est un développement des pouvoirs d’intervention des salariés et des citoyens qui permettront de définir le bien commun, et non les politiques d’austérité, ou les politiques de rentabilité financière (qui sont en fait les deux faces d’une même politique) . Nous sommes pour des emplois qui répondent aux besoins des populations et des territoires, pour des politiques industrielles qui servent l’intérêt général. La CGT demande que les compétences des CHSCT soient étendues à l’environnement, pour devenir des CHSCT « E ». Il y a à réfléchir sur les modes de production, la création des produits incluant le recyclage dès la conception, etc …

Aucun pays ou aucune zone ne peut se passer d’une maîtrise de capacités productives lui permettant d’assurer à sa population les biens et services dont elle a besoin, sauf à les importer massivement. Même les services apparemment les plus immatériels nécessitent un substrat matériel et l’accès à une énergie de qualité (tels les méga-serveurs permettant les échanges sur le « net »). Il est illusoire de vouloir faire de l’économie numérique sans avoir la maîtrise de l’infrastructure matérielle. Ce n’est pas par hasard que les géants du service numérique sont aux Etats-Unis, où il y a aussi la maîtrise des infrastructures matérielles.

L’État doit mener une véritable politique industrielle, et rompre avec les exigences des marchés financiers. Il doit s’en donner les moyens en prenant le contrôle des productions jugées stratégiques et d’un nombre significatif de banques. Il n’est pas possible de s’en remettre aux politiques menées par les grands investisseurs privés. Le crédit impôt recherche n’a pas servi à financer la recherche mais à baisser le coût de la main d’œuvre, et a profiter essentiellement aux grands groupes, ainsi que le souligne le rapport sénatorial . Le modèle des subventions pour inciter les entreprises se révèle être une impasse.

L’alliance ST-NXP-Freescale est de ce point de vue éclairant. En 2003 était lancé l’alliance qui a abouti à Crolles 2, au partenariat entre ST / Freescale et NXP. En 2006, Freescale et NXP sont vendu à des fonds LBO, ces fonds dont les comportements défraient régulièrement la chronique économique (cf document joint). En Janvier 2007, l’alliance disparaît suite au retrait de NXP et Freescale. L’incitation via l’aide à l’innovation n’a pas résisté aux logiques spéculatives des acteurs privés.

Au bout de cet échec, la R&D technologique de base est allée à Fishkill (état de New-York), dans le cadre d’une alliance avec IBM.

On peut aussi évoquer le cas de SANOFI, qui touche 130 M€ par an de Crédit Impôt Recherche et menace de supprimer des centaines d’emploi en recherche.

Côté ST, on assiste à une baisse régulière des investissements productifs, avec des années où le montant des amortissements dépasse celui des investissements. Le budget d’investisseent de ST a atteint un point bas en 2012 avec 480 M$.

Crolles 2 a une capacité installée de 3700 plaques par semaine, et produit en 45 nm. L’objectif de Nano2012 d’atteindre 4500 tranches par semaine en 2012 n’a pas été atteint, cet objectif a été repoussé à l’horizon 2018. Le niveau de rentabilité industrielle pour une usine 300 mm est estimé à 10000 plaques par semaine. A titre de comparaison, TSMC a investi 3 Md $ en 2012, et possède déjà une capacité de 10000 plaques par semaine en 28nm.

Le modèle de l’innovation pour l’innovation, sans préoccupation industrielle, est en difficulté. A quoi sert-il de faire MINATEC, GIANT, l’IRT Nano électronique, si le développement industriel ne suit pas ?

Des discussions ont lieu en ce moment au sujet de Nano2017. Nous ne savons pas grand-chose du contenu. De même, aucun bilan n’a été fait de Nano2012. Il y a là de sérieux problèmes de démocratie sociale et politique.

Pour ce qui est de la téléphonie mobile, les États ont laissé les industriels suivre leur propre stratégie pour aboutir au désastre actuel. Le manque d’investissements côté ST-E et une stratégie appuyée sur des critères financiers ont retardé considérablement la sortie des nouveaux produits. Le procès intenté par Ericsson contre Samsung afin de s’assurer des royalties sur les brevets ont fragilisé la relation avec le premier client de ST-Ericsson. Aujourd’hui, la décision a été prise de démanteler ST-Ericsson. Cela va coûter au moins 400 M $, alors qu’il faudrait un milliard $ sur deux ans pour que les programmes aboutissent.

La direction de ST nous dit qu’elle reste de manière significative dans ce marché grâce aux circuits analogiques. Mais la partie essentielle de ce secteur c’est le digital, qui représente 20% du coût d’un téléphone portable, contre 5% pour les parties analogiques. C’est le digital qui demande les technologies les plus pointues, permettant de fortes capacités de calcul avec une faible consommation. La technologie FDSOI qui est mise au point par le CEA/SOITEC/ST risque de ne pas disposer des volumes suffisants pour être rentabilisée, et donc d’être abandonnée. Les avantages en termes de consommation ne justifient pleinement le surcoût de cette technologie que pour les applications mobiles.

Sortir de la téléphonie mobile, c’est sortir du marché le plus dynamique et le plus exigeant, et donc courir le risque d’un déclin industriel. Alors que nous assistons à une convergence technologique entre le monde du PC, celui d’internet, de la télévision, de la téléphonie mobile, sortir de ce secteur c’est faire courir un grand risque à tous les autres. C’est affaiblir à court terme les sites de ST à Crolles et Grenoble, des entreprises comme Soitec, ou les coopérations avec le CEA. C’est détruire des savoir-faire de niveau mondial, qu’il sera excessivement coûteux de reconstituer.

ST doit impérativement garder une activité significative dans les communications mobiles, sous peine d’entrer dans une logique de déclin.

Les États français et italien ont les moyens d’intervenir, car ils ont une présence décisive dans l’actionnariat de STMicroelectronics. Si besoin est, l’État doit prendre le contrôle de l’entreprise pour impulser une politique industrielle cohérente. La CGT a interpellé ces derniers mois plusieurs ministres sans réponse sérieuse.

Il faut une politique volontariste de l’État français en termes d’investissements sur le territoire national et une politique coordonnée à l’échelle de l’Europe, en s’appuyant sur les points forts existant : Dresde en Allemagne, Milan et Catane en Italie, les différents sites existant en France (Crolles et Grenoble, Rousset près de Aix en Provence, Tours). L’Angleterre possède de très fortes compétences en microprocesseurs/microcontrôleurs avec ARM, et Ericsson possède un savoir-faire unique en matière de télécommunications. Il est très important pour cela qu’il se construise en Europe des usines avancées à forte capacité industrielle (300 mm, volume supérieur à 10000 plaques par semaine. Pourquoi ce qui est possible pour le seul Etat de New-York ou pour Taïwan ne serait pas accessible à l’Europe ? Rappelons que le PIB de Taiwan est de 800 Md $ contre 2 000 Md$ pour la France et 15000 Md$ pour l’Europe !

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